jeudi, août 24, 2006

Réseaux : guerre et cyberspace (bis)


"Guerre de juillet" donc, puisqu'il paraît que c'est le nom qu'on lui donne...
Dans un précédent billet , je parlais de la mobilisation d'internautes par les autorités israéliennes. A cette occasion, j'évoquais différentes techniques connexes utilisées durant ce conflit, telles que le piratage des canaux satellitaires d'Al-Manar, ou encore l'envoi de SMS.

Pour ceux que le sujet intéresse, je signale l'existence du site http://www.infowar-monitor.net/index.php. Lancé par le "Cambridge Programme for Security in International Society and The Citizen Lab.", le site propose en ligne une documentation extrêmement complète me semble-t-il de tout ce qui touche, de près ou de loin, aux usages stratégiques (au sens premier du terme) de l'information et de ses technologies actuelles. (Enfin, tout est en anglais, rien dans les autres langues, ce qui laisse tout de même songeur....) On y trouve un particulier un article qui complète ce que je signalais dans le billet précédent à propos de "mégaphone". Cela a dû marcher car, à en croire l'article, on a pu ainsi obtenir 400 votes en 15 minutes...

A feuilleter rapidement ce qui est mis en ligne sur le site InfoWar, on découvre toutes sortes d'histoires assez remarquables. Par exemple, que les soldats israéliens, lors de barrages érigés tout exprès pour cela, cassent la gueule des jeunes Palestiniens qui ont déchargé la tronche de Nasrallah pour la mettre en fond d'écran de leur portable !

Certaines "anecdotes" sont bien instructives sur ce qui s'est passé au sud du Liban et dans les environs immédiats récemment. Apparemment, le Hezbollah n'est pas le dernier à savoir utiliser les médias, les images, les flux d'infos. Dommage pour les Israéliens qui ont perdu leur monopole en la matière.

Je propose à vos méditations cette citation, trouvée dans le site en question, due à John Arquila, distingué professeur d'Analyse de défense ("defense analysis" : je ne savais pas que c'était aussi structuré que cela la polémologie !) dans une école militaire américaine (la "Naval Postgraduate School") :
"We are now into the first great war between nations and networks. This proves the growing strength of networks as a threat to American national security."

Je ne sais pas si c'est en ces termes que je le dirais, mais cela me fait furieusement penser à une réflexion d'un officier israélien, lue sur un site dont je n'ai pas réussi à retrouver la trace, disant en substance qu'Israël avait fait l'erreur de rechercher une confrontation frontale sur le terrain du Hezbollah et qu'il allait devoir apprendre à mener une "guerre de réseaux", s'il ne voulait pas continuer à "remporter des victoires" aussi brillantes que la dernière. (Réflexion qui n'annonce malheureusement rien de bon pour ceux qui se trouveront dans les parages de la dite "guerre de réseaux" dans les temps à venir...)

Revenons à nos classiques, à savoir le cher Castels : "Si nous ne nous occupons pas des réseaux, les réseaux, eux, s'occuperont de nous. Qui veut vivre en société à cette époque et en ce lieu sera nécessairement confronté à la société en réseau. Car nous sommes bel et bien entrés dans la galaxie Internet."

jeudi, août 17, 2006

Guerre du Liban, blogs, journalisme citoyen...

Une évolution personnelle, dont je suppose qu'elle n'a rien d'original, en tout cas pour les internautes correspondant à mon profil. Evolution (révolution ?) perçue à travers les événements de la dernière guerre du Liban ("guerre" ? Est-elle "finie" celle-là ? Expérience amusante, qu'on peut facilement faire grâce à internet d'ailleurs : prenez le temps de relire les titres de la presse et regardez à quel moment on est passé insensiblement "d'incidents à la frontière" à "crise", puis, enfin, "guerre").

Pour
quelqu'un de ma génération donc, élévé aux médias traditionnels, cette guerre a marqué définitivement le passage à l'internet comme source principale d'information. Au détriments des autres, délaissés, et même, pour plus d'un journal, volontairement boycottés tellement c'est nul.

Différentes raisons à ce passage à l'internet, voué naturellement à s'intensifier toujours davantage et qui passera peut-être totalement inapperçu pour des usagers plus jeunes :
- vu de France, les différents médias sont tellement pro-sionistes en général qu'on cherche naturellement autre chose
- en France mais en province (en "région" comme on dit poliment), le décalage de la presse écrite, l'inexistence de la presse arabe (y compris audio), la nullité des médias en français, incitent aussi à passer au net
- en plus je n'ai pas d'antenne satellite sinon j'imagine que j'aurais un abonnement à un canal satellitaire arabe quelconque et peut-être serais-je moins sur mon petit écrin d'ordi que sur le petit écran maudit...

D'autres raisons, positives cette fois :
1) Tous ces médias ou presque se retrouvent, en temps réel ou presque, sur le net. Il faut bien sûr apprendre à la trouver, mais ce n'est rien d'autre qu'un apprentissage ordinaire en fait.
2) Et en plus les efforts sont très largement récompensés. Par la diversité des infos qu'on peut avoir (je confesse ainsi avoir régulièrement zappé sur le jpost et Haaretz même si, au début, ça fait drôle...) et par le caractère inédit et/ou ""en avance" des infos qu'on arrive à avoir, en particulier, voire surtout, par tout ce qui vient et/ou est traité par des sources et canaux qui relevent de ce qu'on appelle le "journalisme citoyen" (cf. ce qu'en raconte Pisani dans son blof par exemple à cette page http://pisani.blog.lemonde.fr/pisani/2006/05/blogueurs_et_jo.html).
3) Il faut aussi y ajouter je crois le rapport particulier que créé le "fil internet" qui créé, et je crois que c'est rarement souligné, une relation spéciale, intime, "chaude" comme dirait McLuhan (cherchez la référence, je ne l'ai plus en tête). En écrivant ce billet, je pense à une conversation au téléphone, hier, avec une amie au Liban : en dépit du plaisir du téléphone, elle me disait combien ils appréciaient, bloqués, les courriels de sympathie, d'encouragement, etc., "peut-être plus que le téléphone" ! Une remarque qu'on trouve également sur le blog de Stéphane cité ci-dessous. Je crois que cela vaut aussi pour les usagers d'internet de ce côté-ci de la frontière physique des conflits. Je me rends compte que l'écran internet est bien plus "intime" qu'on ne le penserait au départ...

Pour s'informer sur la Toile, pour se servir de la Toile tout simplement, tout le monde développe des stratégies de lecture qui sont autant de parcours à travers les sites, de lien en lien éventuellement, au gré des associations.

Cette chose bizare n'est en fait que l'équivalent des choix de lecture dans la masse des titres disponibles en kiosque par exemple, ou parmi les canaux ouvrables par la zapette de la télé, mais également à travers les signes (caractères écrits ou photogrammes) des infos dont on s'efforce de "prendre connaissance" (belle expression en français si on y pense, la connaissance s'avouant "possession" - sans doute inévitablement manquée dirqit le philosophe - de l'objet désiré).

Il n'est donc que justice de mentionner ici, à ce moment du conflit, cette adresse (obtenue grâce à Armelle je crois) :
http://www.libnanews.com/

Et puis, comme on dit dans Charlie Hebdo auquel par le ton il ressemble parfois, rubrique "spécial copinage" maintenant : je ne peux que vous renvoyer au journaliste-citoyen webmestre, oelle-supporteur et ami de Stéphane, sommé, devant le monde entier, de nous parler de son expérience dans ces pages s'il le veut bien tout de même : http://stefanbazan.com/blog/ (J'aime beaucoup sa chronique du 13e jour que je vous recommande chaudement.)

dimanche, août 13, 2006

Mégaphone : la guerre du Liban et le cyberespace


(Fallait-il reprendre ces billets, comme si de rien n'était, comme si, après plusieurs semaines de guerre - en admettant que j'ai raison de penser que celle-ci se termine bientôt - il était possible de reprendre la vie ordinaire, en oubliant les horreurs des jours passés ? Je n'en sais rien. Je prends cette décision, pas forcément convaincu que ce type de travail a grand sens, mais en me disant aussi que continuer est une façon de résister. Peut-être est-ce une manière de me donner bonne conscience à pas cher...)

La presse a consacré quelques articles à la manière dont les combats de la nouvelle guerre du Liban ont eu pour cadre les nouveaux médias : piratage de fréquences télévision (celle du Manar, par Israël), utilisation de listes d'abonnés téléphoniques (des deux côtés semble-t-il) pour l'envoi de SMS démoralisants, déstabilisants, etc. Du côté d'internet, piratage et blocage de sites, selon des modalités désormais bien connues.

Quelques remarques rapides sur ce dernier point en passant :
- Le cyberespace répond, apparemment, aux règles classiques de la stratégie et s'avère être un domaine où il est possible de mener des guerres assymétriques (Israël est sans nul doute en avance par rapport au monde arabe dans le domaine des TIC mais, en potentiel de nuisance, cette différence n'a pas l'air de jouer vraiment). Cela dit, à part les nuisances techniques que cela entraîne pour les gens concernés, pas de quoi fouetter un chat me semble-t-il... Je subodore que le piratage vénal d'Internet a beaucoup, beaucoup plus d'importance...
- Les théorisations utopiques à propos d'un cyberespace idéal au sein duquel il n'y aurait plus de conflits ni de luttes d'intérêts mais juste des flux d'informations éthérés de frères en cybercratie continuent à avoir cours : on nous a ressorti (personnellement, cela me fait de plus en plus rire jaune) les magnifiques dialogues de part et d'autre de la ligne de front entre blogers qui, au-delà des bombes, arrivent encore à dialoguer. (Cela peut remplir quelques lignes de journaux et aider à faire quelques rêves mais je doute de la traduction concrète de ces échanges...)
- Une fois de plus, on doit constater que le cyberespace est régi par des règles physiques qu'il faudrait tout de même prendre en compte. Les internautes libanais ne sont pas loin, au jour où j'écris ce billet, d'avoir de plus en plus de problèmes pour se connecter, mais, en même temps, ils ont toujours pu continuer à le faire... En revanche, en dépit d'un certain nombre de tentatives, je n'ai jamais réussi à me connecter de Franced au(x) site(s) d'al-Manar...

En définitive, je me demande si les véritables enjeux ne sont pas ailleurs. Et, les Israéliens l'ont peut-être compris avant les autres. Je m'explique. Internet s'inscrit dans un espace médiatique, dans un système de communication. Il ne révolutionne rien, il modifie des rapports de force, des flux, infléchit des logiques préexistantes. A ce titre, il doit, comme les autres médias, être surveillé, capté, monitoré... L'énergie qu'il véhicule et qu'il contribue à renforcer doit être canalisée et orientée au profit d'objectifs précis, par exemple vis-à-vis de la constitution d'une opinion publique.

Telle est le sens de l'initiative lancée par le Département des affaires publiques du ministère des Affaires étrangères israélien "à la faveur" du dernier conflit. Sous le nom de "mégaphone", il s'agit de recruter un maximum d'internautes partisans (100 000 dans l'idéal) et de les mobiliser pour intervenir dans le cyberespace au profit des positions israéliennes. La nouveauté, c'est qu'un logiciel a été conçu à cet effet pour rationaliser et optimiser la mobilisation des volontaires. Comme le dit la page d'accueil (en français, il y en a une aussi en anglais, en plus de l'hébreu) du site www.giyus.org (giyus veut dire, semble-t-il "mobilisation" en hébreu) : "Les conflits d'aujourd'hui sont gagnés par l'opinion publique. Le temps de l'action est venu. Faites entendre au monde le côté d'Israël." (Vous noterez combien la francophonie est menacée !!! pas terrible la traduction... C'est visiblement écrit en anglais d'abord : Today's conflicts are won by public opinion. Now is the time to be active and voice Israel's side to the world.)

On propose donc aux volontaires de décharger le logiciel de façon à intervenir efficacement dans le cyberespace lorsqu'il y a des articles et/ou des sondages concernant Israêl. Risquons un peu d'humour (pas très facile en ce moment) : Israël renoue enfin avec la (prétendue) fibre révolutionnaire de ses pionniers. Lisez ce slogan, tout droit sorti de l'imagination d'un communicant américano-israélien de la cybervallée israélienne (pas loin de Haïfa, n'est-ce pas ?...) : "Ensemble nous pouvons faire la différence." (Together, we can make a difference.)

Et quand on clique sur le mot différence, ce dimanche 13 août, on est invité à signer différents sondages pour expliquer au monde que la résolution 1701 est bonne pour Israël...
Parce que ce n'était pas évident ???...